L'arrivée à Bindoula, ma rencontre avec les jeunes

Par Jeanne Heurtault, ethnologue

Je suis arrivée sur mon terrain ethnologique le 16 janvier en avion, par Banjul en Gambie. Papis est venu me chercher à l'aéroport. Profitant d'un voyage en voiture de deux sœurs catholiques de Kabadio (l'une confirmée, l'autre apprentie) venues chercher un ami arrivant d'Auvergne,ensemble nous avons pris la route jusqu'à Kabadio.

Je reviens à Bindoula pour la seconde fois. Je viens cette fois-ci, pour approfondir une recherche qui avait débuté à la fin de l'année 2018, durant la deuxième cession de formation Permakabadio. Il y a deux ans, préparant un voyage au Sénégal avec mon ami Souleymane,Benjamin me sollicita en tant qu'ethnologue, pour venir réaliser des entretiens ethnographiques à Bindoula, avec des personnes qui étaient de retour d'exode.

 

D'un voyage personnel, cette première expérience en Afrique subsaharienne,

se transformait en un véritable terrain ethnographique.

 

A mon arrivée à Bindoula, Papis me présente une partie de l'équipe de Permakabadio, dont cinq jeunes hommes et un homme plus âgé. Certains d'entre eux vivent actuellement de manière continue sur le lieu, d'autres y passent du temps sans y dormir chaque nuit. Ceux qui sont présents ce soir, m'accueillent et m'accompagnent jusqu'à la «maison de Jacques». C'est ici que je vais dormir et pouvoir travailler sur mes livres et mon ordinateur, avec l'apport de l'électricité solaire.Dans la nuit noire, à la lumière des téléphones portables, il m'est difficile de bien distinguer les visages que je ne connais pas encore, ainsi que de reconnaître les lieux.

Je retrouve Sol que j'avais rencontré en 2018 et avec qui j'avais eu de nombreux échanges sur le jardin et la vie à Bindoula. C'est avec lui que je m'étais principalement initiée à la langue mandingue. Il me disait ne pas comprendre ceux qui veulent partir en Europe.

 

Je rencontre Dambo, Isamela, Kakoubo, Thierno et Daouda. Ils ne vivaient pas à Bindoula en 2018. Certains d'entre eux venaient participer à certaines tâches, ainsi qu'à la formation Permakabadio, et repartaient chez leur famille dans le village. Actuellement, chaque jour, ils s'occupent du lieu et le font vivre: constructions (chemin, bâtiments), jardinage, élevage (poules,oies, canards, lapins, chèvres, chien), tâches quotidiennes (gestion de l'espace, cuisine, vaisselle,ménage, courses, linge, feu...). Abou n'est pas là. Tombong non plus. Ils dormaient ici en 2018. Abou est parti au Maroc depuis décembre dernier. Il tente d'arriver jusqu'en Europe par la voie illégale, en passant par la méditerranée. Tombong est en Gambie - dont il est originaire - depuis près d'un an. Il ne revient pas dans l'association pour le moment.

Pourquoi certains jeunes quittent-ils Kabadio?

Cette question sonne le départ de mon enquête ethnographique. Si les facteurs qui poussent certains jeunes à partir du village peuvent être communs d'un individu à l'autre, les parcours de vie sont eux différents. Les données de terrain que je commence à recueillir depuis mon arrivée,permettront au bout de l'enquête, de connaître d'un peu plus près les parcours à la fois individuels et collectifs des jeunes qui sont partis de Kabadio ou qui projettent de le faire.

 

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La méthodologie de terrain

En vivant sur le lieu de ma recherche, en participant au quotidien des personnes au sein de Permakabadio, j'observe les dynamiques sociales à l’œuvre: discussions de groupe, interactions entre les individus, répartition et réalisation des tâches, places de chacun dans le groupe,représentations mentales de la permaculture (ce que représente pour eux la permaculture) etc...Cette méthodologie de terrain appelée « observation participante », me permet de créer des formes de proximité avec les personnes, de sorte qu'elles s'habituent à ma présence, qu'elles m'intègrent dans leur interactions et leur quotidien au maximum, et qu'elles m'accordent leur confiance. Avec l'apprentissage du mandingue, en plus de me permettre d'échanger avec les personnes dans leur langue, j'espère accéder petit à petit, à leurs univers de sens et leurs rapports au monde.

 

 

Carnet de terrain et stylo en main, je note chaque jour des éléments qui m'apparaissent comme essentiels pour me permettre de comprendre les parcours de vie de chacun, les représentations de l'ailleurs (l'Europe, l'Amérique, l'Asie), de l'environnement proche, du quotidien et de tout ce qui lie les personnes à leurs cultures et à leur société mandingue, casamançaise,sénégalaise, africaine... je garde une trace de ce qu'on me dit, ce que je vois, ce que je comprends.Le soir sur l'ordinateur, sur le bureau de ma chambre, j'écris encore pour ne rien oublier...

 

En recueillant des histoires de vie de personnes en proie à l'exode ou de retour d'exode, en mettant en lumière certaines réalités sociales vécues dans le village et au sein de l'association, l'un des objectifs est de permettre aux plus jeunes de connaître d'un peu plus près les expériences migratoires et associative de leurs aînés, et ainsi de faire circuler une parole qui n'est pas toujours partagées au sein des cercles d'interconnaissance: entourage, famille, amis...